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10/04/2020

Coronavirus et Afrique - en RDC, l'expérience acquise avec Ebola mise au service de la lutte contre le Covid-19

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Coronavirus et Afrique - en RDC, l'expérience acquise avec Ebola mise au service de la lutte contre le Covid-19
 Eric Ntumba
Auteur
Corporate and Investment Banker

La République démocratique du Congo (RDC) compte au 9 avril 215 cas confirmés positifs. L’épidémie s'est déclarée dans le pays le 10 mars et le gouvernement a rapidement mis en place un Comité multisectoriel de riposte. Comment la situation sanitaire peut-elle évoluer ? Quelles mesures ont été mises en place ? Quelles leçons les autorités ont-elles tiré de leur expérience acquise lors de la gestion de l'épidémie Ebola ? Quelles conséquences économiques ? Eric Ntumba, Corporate and Investment Banker œuvrant en République Démocratique du Congo, qui a fait partie de la première promotion des Africa France Young Leaders, répond à nos questions

Quelle est la situation sanitaire actuelle en RDC ? Comment pourrait-elle évoluer dans les prochaines semaines ?

La situation sanitaire en RDC est à tout point de vue critique. Les infrastructures médicales existantes sont depuis longtemps en état de déliquescence avancée et la crise actuelle ne fait que révéler au grand public l'étendue du désastre sanitaire qui nous guette, d'abord à cause de cette carence infrastructurelle. En effet, la RDC compte moins de 100 respirateurs pour une population de plus de 80 millions d'habitants.

Si on s'en tient aux chiffres officiels néanmoins, la situation paraît sous contrôle. On dénombre à la date du 9 avril 215 cas confirmés et 20 décès (déjà ici le taux de létalité du virus le plus élevé en Afrique subsaharienne).

Le tableau s'assombrit lorsque l’on prend en compte les paramètres suivants :

  • ce pays-continent de plus de 2,3 millions de km2 ne dispose que d'un seul centre de traitement des tests, le laboratoire de l'Institut national de recherche biomédicale (INRB) à Kinshasa ;
  • ce laboratoire a longtemps eu une capacité d'analyse ne dépassant pas les 50 tests par jour, même si la barre des 100 tests a été frôlée le jeudi 9 avril, avec 98 tests réalisés (et 8 nouvelles confirmations de cas) ;
  • le confinement total est pratiquement impossible dans un pays où plus de 70 % de la population vit au jour le jour et compte sur sa capacité à générer un revenu quotidiennement pour sa survie ;
  • les gestes barrière sont peu suivis par la population, qui n’est pas tout à fait convaincue de l'existence ou du caractère virulent de cette pandémie et qui semble en grande partie continuer à vivre comme si de rien n'était.

À ce stade, et face à ce tableau, il apparaît que nous ne connaissons pas la vraie étendue de la contamination au Covid-19 en RDC, l'échantillon des personnes déjà testées étant trop peu représentatif. Il est en outre difficile de quantifier l'échelle de ce qui nous attend dans les semaines à venir. D'autant plus que si les stratégies adoptées en Europe, par exemple, ont principalement visé à tasser la courbe de l'épidémie afin de ne pas voir la capacité des structures sanitaires dépassées par l'afflux de malades, le système en RDC est par nature déjà saturé.

Une de nos plus grandes craintes repose sur le fait que jusque là, la malnutrition, dont l'effet sur le système immunitaire est connu, ne figure pas encore dans les facteurs à risque.

Nos plus grands espoirs viennent, à ce stade, des hypothèses marseillaises non confirmées du Dr Raoult et de l'usage de son protocole combinant l'hydroxychloroquine et l'azithromycine. Une de nos plus grandes craintes repose sur le fait que jusque là, la malnutrition, dont l'effet sur le système immunitaire est connu, ne figure pas encore dans les facteurs à risque. Une aggravation de la contamination dans un pays miné par endroit par la faim (cas de famines récentes dans les provinces du Kasaï) pourrait se révéler désastreuse.

Quelles est la stratégie adoptée par le gouvernement pour combattre l'épidémie ? Quelles leçons les autorités ont-elles tiré de leur expérience acquise lors de la gestion de l'épidémie Ebola ?

Le gouvernement a réagi très tôt aux premières confirmations de cas Covid-19, en s'appuyant sur l'expertise du Pr Muyembe, virologue de renommée mondiale, co-découvreur du virus Ebola dans les années 1970, et aux commandes de la riposte contre la dernière résurgence d'Ebola à l'Est de la RDC. Les autorités ont ainsi mis en place un Comité multisectoriel devant conduire la riposte, créé un fonds d'urgence, pris la décision d'isoler Kinshasa (foyer de l'épidémie) des autres provinces, fermé les frontières nationales, suspendu les activités et commerces non essentiels et décrété un état d'urgence sanitaire.

La principale critique formulée à l’encontre du gouvernement porte sur le fait qu’il se soit limité à réagir, alors qu'une attitude proactive aurait été souhaitable devant le développement de la pandémie en Europe, surtout étant donnée la densité des interactions entre le continent africain et sa diaspora européenne.

Autre objet de critique : l'annonce, puis le retrait peu avant minuit - la veille de son entrée en vigueur - du "confinement total intermittent" de la ville de Kinshasa, qui a brouillé le signal sur le cap à garder face à la pandémie. La mesure devait voir alterner pendant deux semaines, quatre jours consécutifs de confinement total et une période libre de quelques jours permettant le ravitaillement. Tout porte à croire que le recul sur cette décision a plus tenu compte d'impératifs sécuritaires et d'ordre public qu'autre chose. Il a depuis été remplacé par un confinement progressif, limité à ce stade à la commune la plus riche de la Gombe, siège des institutions et place d'affaires par excellence de la RDC.

L'expérience tirée par le gouvernement de la gestion de l'épidémie d'Ebola est perceptible dans la rapidité avec laquelle une stratégie et une structure de riposte ont été mises en place, mais surtout dans la clarification nette de qui piloterait l'effort. En effet, la lutte contre Ebola avait été notamment freinée par des guerres de structures et d'egos, finalement clarifiées par le Président en juillet 2019 par la désignation du Pr Muyembe à la tête de l'effort de riposte, ce qui avait entraîné la démission du ministre en charge de la Santé de l'époque. Une chaîne de commande de la riposte claire aide énormément à la canalisation des efforts. Il convient également de souligner le niveau d'expertise local d'un personnel de santé déjà rompu à la pratique de lutte contre les épidémies et ayant fait ses armes sur des terrains de riposte à Ebola en RDC et en Afrique de l'Ouest.

La population soutient-elle les mesures adoptées par le gouvernement ?

Dans la mesure de son possible, oui. Mais il est impossible pour certains de respecter les mesures de distanciation sociale prônées. C’est notamment le cas de la consigne interdisant d’être plus de 20 dans un espace restreint, difficile à respecter pour les personnes qui vivent à plus de 40 dans une concession exiguë par exemple. Le même constat est valable dans les transports en communs, où les gens n'ont d'autres choix que de s'entasser les uns sur les autres, ou sur les places de marché où la promiscuité est tout le temps de mise.

La population congolaise ou kinoise ne peut être analysée comme un tout cohérent.

Il faut ici se rendre à l'évidence : la population congolaise ou kinoise ne peut être analysée comme un tout cohérent. D’une part, l'élite et la classe moyenne ont pris à bras le corps les mesures adoptées et ont souvent porté des plaidoyers pour pousser le gouvernement à agir plus vite et à aller plus loin en imposant un cadre contraignant pour la distanciation sociale et le confinement. Cette frange de la population a tout de suite adopté le port du masque, fait des provisions anticipant un confinement, retiré ses enfants des écoles (avant même la mesure officielle), etc. Mais cette dernière, qui vit et vibre à l'heure parisienne ou new-yorkaise, n'est pas représentative de la vie du Congolais lambda, qui accueille ces mesures comme une double peine, lui qui, ne voyageant pas, n'a pas contribué à l'importation des cas contaminés, et qui doit aujourd'hui faire face à des mesures de confinement qui menacent sa survie journalière.

La note d'espoir ici est l'engagement de ceux qui ont compris cet enjeu de santé publique et qui s’évertuent à vulgariser les gestes barrière, à faire des dons de masques et de gels hydroalcooliques et à conduire des campagnes de sensibilisation visant tous les publics sans rien attendre du gouvernement qui a par la suite fait sa part.

Le système de santé est-il assez résilient pour affronter l’épidémie ?

Le système de santé de la RDC est à l'agonie depuis bien longtemps. La parade longtemps adoptée par les classes aisées, souvent politiquement connectées, a été de sous-traiter cette responsabilité à l'Occident d'abord, puis plus récemment à l'Inde ou l'Afrique du Sud. On a longtemps assisté aux évacuations d'urgence vers l'Europe, à des aller-retours pour check-up réguliers, des opérations ou des accouchements à l'étranger. Il suffisait d'avoir les ressources nécessaires pour considérer que la déliquescence de l'infrastructure sanitaire en RDC ne nous concernait pas vraiment.

Face au Covid-19, il n'y a pas d'exil possible et nous devrons tous faire avec nos 50 respirateurs, nos pénuries d'oxygène et l'inexistence de services d'urgence organisés

Cette pandémie aura eu le mérite de complètement lézarder ce mythe, nous mettant face à notre irresponsabilité et à la nécessité de changer les choses à l'avenir. Face au Covid-19, il n'y a pas d'exil possible et nous devrons tous faire avec nos 50 respirateurs, nos pénuries d'oxygène et l'inexistence de services d'urgence organisés (type SAMU).

Ce système est à reconstruire.

Quelles seront les répercussions économiques du coronavirus en RDC ?

Les répercussions économiques seront importantes. Même si le gouvernement fait de son mieux pour essayer d'en atténuer l'effet sur notre petit tissu de PME et PMI, il y aura probablement des faillites et des pertes d'emplois.

Le caractère extraverti de l'économie congolaise aura un impact sévère sur ses équilibres déjà précaires et la capacité du gouvernement à générer les recettes nécessaires à l'exécution de son budget. En effet, la RDC importe tout ce qu'elle consomme et exporte principalement des matières premières sans transformation locale. En outre, ses échanges sont particulièrement concentrés avec la Chine, dont le moteur de croissance a fortement ralenti, avec comme conséquence directe une réduction de sa demande pour les minerais que la RDC exporte. Le gouvernement congolais aura ainsi du mal à s'en sortir sans une intervention (même temporaire) du FMI et des autres bailleurs de fonds.

Ces effets seront probablement renforcés par les contraintes qu'impose la lutte contre l'épidémie aux entreprises locales (télétravail, faible demande, difficulté d'exécution des commandes), aux particuliers et aux ménages, surtout sur la partie informelle de notre économie, qui est de loin la plus large.

La leçon sera à l’échelle globale partout la même, certes à des degrés divers : réduire la dépendance à des chaînes d'approvisionnement ou des débouchés trop lointains en privilégiant la floraison d'une production locale, assurer l'extraction du maximum de valeur ajoutée locale par la transformation de nos matières premières avant exportation, ainsi que l'émergence d'un marché régional basé sur des circuits courts. Sans doute est-il vraiment temps de pousser l'agenda de l'Union africaine sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), afin d'être collectivement moins vulnérables à l'avenir.

Quelles sont vos recommandations à la population et aux instances décisionnaires congolaises ?

Ma seule recommandation possible à la population serait celle de respecter les gestes barrière et les mesures prises par le gouvernement. Nous ne pourrons limiter les dégâts causés par la pandémie que par un effort collectif. Aux instances décisionnaires congolaises, je souhaite beaucoup de courage dans ces moments difficiles et l'audace de décider malgré une information incomplète sur un virus que nous ne connaissons pas vraiment. Ma recommandation serait qu'elles s'attèlent dès maintenant à réfléchir de manière prospective sur l'après. Nous sortirons de cette crise, c'est inéluctable : il nous faut d’ores et déjà réfléchir à la feuille de route pour amorcer une relance rapide une fois son cap dépassé et entamer les réformes nécessaires pour ne plus jamais retomber à ce niveau de vulnérabilité sanitaire.

 

 

Copyright : ALEXIS HUGUET / AFP

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