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07/12/2022

Budget 2023 : Quels enjeux se cachent derrière la commission mixte paritaire ?

Budget 2023 : Quels enjeux se cachent derrière la commission mixte paritaire ?
 Lisa Thomas-Darbois
Auteur
Directrice adjointe des études France et Experte Résidente

D'abord rejeté en première lecture par l’Assemblée nationale le 25 octobre, puis adopté par le Sénat le 2 novembre, le projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) pour la période 2023-2027 est désormais soumis à l'examen d’une commission mixte paritaire. Convoquée dans les tout prochains jours, cette commission réunit des députés et des sénateurs, dont l'objectif est de parvenir à un accord sur un texte commun, en l'espèce, celui de la LPFP pour 2023-2027. À la lumière de cet événement parlementaire - et dans la perspective de la nouvelle législature - l'Institut Montaigne propose une analyse du fonctionnement de ce mécanisme essentiel et initialement innovant de la Vème République.

En quoi consiste une commission mixte paritaire ?

Afin de ne pas reproduire les dérives de la IVème République (1946-1958) - marquée par une instabilité ministérielle récurrente en raison de l'importance politique considérable confiée au Parlement - la Constitution de la Vème République a rétabli un régime bicaméral plus équilibré dans lequel l'Assemblée nationale a souvent le dernier mot sur un texte en cas de désaccord persistant avec le Sénat. La Constitution du 4 octobre 1958 a introduit un mécanisme original permettant d’éviter une navette infinie entre les deux assemblées, à savoir la commission mixte paritaire (CMP).

Prévue par l'article 45 de la Constitution, la CMP est une innovation en matière de procédure parlementaire, dont le but est de rapprocher les points de vue des deux chambres, afin de "proposer un texte [commun] sur les dispositions restant en discussion". Elle a la particularité d'offrir un lieu de débat serein et approfondi à huis clos dans lequel ni le gouvernement, ni ses conseillers, ni les collaborateurs parlementaires ne peuvent assister aux échanges.

Seuls sept députés, sept sénateurs, leurs suppléants - au nombre de sept pour chacune des assemblées - et quelques fonctionnaires composent la CMP. La composition de cette commission obéit à des règles bien définies soumises à des considérations d’ordre technique (présence du président et du rapporteur de la commission saisie au fond de l'examen du texte), politique (présence de quatre représentants de la majorité et de trois représentants de l’opposition parmi les délégations de chaque assemblée depuis 2009) et prenant en compte l'équilibre entre les groupes politiques, car les sièges sont attribués en proportion de leur importance au sein de chaque assemblée. En outre, le président de la CMP, son vice-président et les rapporteurs pour l'Assemblée nationale et le Sénat forment le Bureau de cette instance de compromis. 

En somme, il s'agit du seul lieu où le législateur est libre de débattre sur un projet ou une proposition de loi sans la présence du gouvernement.

"Guide pratique" de la CMP

Le deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution énonce qu’une CMP peut être convoquée à l’initiative du Premier ministre, ou par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat depuis la révision constitutionnelle de 2008 - ce qui n’a eu lieu qu'à une seule reprise jusqu’à présent, pour la proposition de loi visant à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans les lieux d'habitation, finalement adoptée en mars 2010. Rappelons que cette décision ne peut intervenir qu'après deux lectures au moins dans chaque assemblée ou après une seule lecture dans chaque assemblée lorsque le gouvernement opte pour engager la procédure accélérée, à condition que les Conférences des Présidents des deux assemblées ne s'y soient pas opposées. S'agissant du projet de loi de finances (PLF) ou du projet de loi de finances pour la Sécurité Sociale (PLFSS), la procédure accélérée est de droit compte-tenu des délais courts prévus par la Constitution, la CMP peut donc intervenir après une seule lecture, dans chaque chambre. En ce qui concerne le PLPFP, la procédure accélérée a justement été engagée dès le 26 septembre dernier.

Il convient de préciser que le texte étudié est toujours le dernier texte voté par la dernière assemblée saisie avant la réunion de la CMP.

Une fois la CMP convoquée, ses membres s'appuient sur un tableau préparatif recensant les dispositions non encore adoptées - préparé en amont - pour mener leur travail. Il convient de préciser que le texte étudié est toujours le dernier texte voté par la dernière assemblée saisie avant la réunion de la CMP - en l'occurrence, dans le cas du PLPFP 2023-2027, il s'agit du texte voté le 2 novembre par le Sénat. Au terme de ce processus, qu'il y ait un accord ou non, la CMP produit un rapport, la plupart du temps bref, dont les contours sont limités au résumé de la teneur des discussions tenues dans le cadre de la CMP ou au constat de l’absence de terrain d’entente. Celui-ci est transmis au Premier ministre, ainsi qu’aux présidents des deux chambres.

Trois situations sont envisageables à l'issue d’une CMP :

  • La CMP aboutit à l'élaboration d’un texte commun que le gouvernement décide de soumettre aux deux assemblées. Ici, le gouvernement peut seulement modifier le texte au moyen d’amendements. Si un accord est obtenu entre les assemblées sur un texte identique après la CMP, la loi est alors transmise pour promulgation. Si ce n’est pas le cas, le gouvernement a le choix entre laisser repartir le texte en navette ou engager le processus lui permettant d’attribuer le dernier mot à l'Assemblée nationale.

  • La CMP aboutit à l'élaboration d’un texte commun, mais le gouvernement choisit de ne pas le soumettre aux assemblées. Dans ce cas, c'est l'assemblée qui a été saisie en dernier lieu sur le texte en discussion qui reprend l’examen du texte. C'est un retour à la procédure législative usuelle avec une reprise de la navette parlementaire jusqu’à ce qu'un accord soit convenu entre les assemblées sur un texte commun. Une telle situation est exceptionnelle, car elle ne s'est produite qu'une seule fois, en 1992, lorsqu'une CMP a été convoquée sur le projet de loi modifiant le code civil et relatif à la responsabilité du fait du défaut de sécurité des produits. À cette occasion, la CMP était parvenue à élaborer un texte commun, mais il n'a jamais été inscrit à l’ordre du jour des assemblées donc la procédure a finalement été abandonnée.

  • La CMP n'est pas parvenue à élaborer un texte commun ou bien celui-ci n'a pas été approuvé par les assemblées. Le gouvernement est alors contraint de relancer la navette parlementaire, d’abord devant l'Assemblée nationale. Cette navette est toutefois limitée à une seule lecture au sein de chaque assemblée.

Les CMP : un outil constitutionnel stratégique pour cette nouvelle législature

Dans un article intitulé "La CMP, lieu mystérieux de pouvoir", publié en septembre 2013 dans "Pouvoirs", l'ancien sénateur et membre du Conseil constitutionnel Jean-Jacques Hyest rappelait que - indépendamment des alternances politiques - plus des deux tiers des lois promulguées depuis 1959 n'avaient pas justifié le recours à une CMP, ce qui démontrait selon lui que la navette parlementaire restait le mode privilégié de l'adoption des lois sous la Vème République. 

Cependant, il soulignait que "sur les 30 % des textes qui ont nécessité la réunion d’une CMP, 20 % ont fait l'objet d'un accord en CMP, le dernier mot n’ayant été donné à l'Assemblée nationale que pour 10 % des lois promulguées, après échec de la CMP". En conclusion, il admettait que la CMP est "un outil au service du bicaméralisme et en définitive des droits du Parlement, face à un exécutif toujours soucieux sinon d'efficacité, du moins de rapidité, possédant de nombreux pouvoirs pour imposer ses vues".

Le contexte politique actuel est toutefois bien différent de celui des dernières décennies.

Le contexte politique actuel est toutefois bien différent de celui des dernières décennies, et tout particulièrement de celui du premier quinquennat du président de la République. En effet, en 2017 le gouvernement s'inscrivait dans une solide dynamique réformatrice appuyée par une majorité absolue à l'Assemblée nationale. L'objectif premier était ainsi de gagner du temps et de raccourcir tant que possible la durée des examens parlementaires. Les CMP permettaient ainsi d’économiser une potentielle nouvelle lecture, entre les deux chambres. Aujourd'hui, et depuis les élections législatives de juin 2022, l'enjeu politique n'est plus celui du temps, mais bien celui, plus élémentaire, de l’adoption des projets de loi déposés par l’exécutif. Dès lors, il devient plus stratégique pour le gouvernement de concéder quelques compromis - y compris au sein des CMP - et ainsi s’épargner une lecture définitive à l'Assemblée nationale, qui pourrait s’avérer fatale pour le texte défendu par l’exécutif.

La CMP a donc de beaux jours devant elle dans cette nouvelle législature et son recours pourrait être davantage systématisé. Premier cas pratique : la LPFP pour 2023-2027, qui a été rejetée par l'Assemblée nationale en première lecture. Dans l’hypothèse où les travaux de la CMP - convoquée le 28 novembre - seraient concluants, le gouvernement s’est dit prêt à faire une concession non négligeable en renonçant au mécanisme de contrôle des finances des 500 plus grosses collectivités, tandis que LR accepterait l'introduction d'une trajectoire de dépenses des collectivités dans la LPFP pour 2023-2027. Les conclusions de la CMP, attendues prochainement, pourraient nous éclairer quant à la teneur des prochains débats parlementaires, qui devraient être placés avant tout, sous le signe du compromis.

 

 

Co-écrit avec Samuel Eveno, assistant chargé d'études.

 

 

Copyright : LOIC VENANCE / AFP

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