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11/04/2018

Attaques chimiques dans la Ghouta : quelle réponse occidentale ?

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Attaques chimiques dans la Ghouta : quelle réponse occidentale ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Le 7 avril, deux nouvelles attaques chimiques ont été perpétrées par le régime syrien dans la Ghouta, dans la ville de Douma, et une fois de plus des vidéos et des témoignages terribles ne permettent pas de douter de la nature de ce nouveau crime de guerre. 

Au moment où ces lignes sont rédigées, la réponse des Occidentaux est encore en préparation. Une étroite concertation est en cours notamment entre Paris et Washington mais aussi d’autres capitales occidentales. Il est vraisemblable que cette concertation porte notamment sur l’identification des cibles et les moyens à engager pour un plan de frappes sanctionnant ce nouveau franchissement des "lignes rouges" communes à Paris et Washington. C’est ce que laissent entendre les déclarations officielles, et notamment celles de M. Trump et de M. Macron.

On peut supposer qu’en examinant leurs options, les dirigeants français et américains ont en tête deux précédents, qui sont l’un et l’autre des contre-modèles, ainsi que le contexte actuel de montée des tensions, à la fois sur le plan régional et entre la Russie et les Occidentaux.

"Un "moment Obama" serait fatal pour la crédibilité de M. Macron comme pour celle de M. Trump"

Premier contre-modèle, bien entendu, celui d'août-septembre 2013. On ne reviendra pas ici sur les raisons ni sur les conséquences du choix qu’avait fait M. Obama à l’époque de renoncer à l’option militaire et de retenir l’offre russe d’une option diplomatique fondée sur le démantèlement de l’arsenal chimique syrien. Il serait très étonnant, à la lumière du précédent de 2013, que cette fois les présidents français et américain ne passent pas aux actes. Un "moment Obama" serait fatal pour la crédibilité de M. Macron comme pour celle de M. Trump. Les deux chefs d’Etat ont sans doute intérêt à ne pas différer trop longtemps le moment d’agir car le temps qui passe laisse le terrain libre à toutes sortes de manœuvres de la part du régime syrien et surtout de ses soutiens. 

Sur le plan de la méthode, l’une des erreurs qu’avaient commises M. Obama mais aussi M. Cameron et M. Hollande, avait été de donner, à grand coup de déclarations fracassantes et de débats parlementaires, des proportions shakespeariennes à ce qui n’aurait dû être au fond qu’une opération de police internationale ne méritant pas tant d’honneurs.

"Faute de suivi politique, les frappes américaines d’Al-Chaayrate n’avaient permis ni un effet dissuasif durable concernant l’emploi de l’arme chimique ni un recadrage des efforts pour mettre un terme au conflit"

C’est d’ailleurs cette leçon qu’a appliquée l’administration Trump il y a un an lorsqu’elle a envoyé, le 6 avril 2017, une cinquantaine de Tomahawks sur la base d’Al-Chaayrate. Cette action était intervenue quarante-huit heure après l’attaque chimique sur Khan Cheikhoun et avait été accompagnée d’un minimum d’explications. Le Pentagone avait simplement adressé un court préavis aux militaires russes pour éviter des dommages collatéraux. Toutefois, l’épisode d’avril 2017 apparaît aussi comme un contre-modèle, pour une  raison différente : la sanction américaine a eu des effets, puisque l’on a observé une pause de quelques mois dans le recours à l’arme chimique par le régime, mais des effets limités dans le temps. 

De surcroît une occasion avait été perdue à cette époque, où l’administration Trump s’installait, de replacer sur de meilleures bases les négociations internationales en vue d’un règlement politique du conflit. M. Tillerson s’était rendu à Moscou peu après les frappes américaines mais sans avoir à offrir aux Russes un plan particulier de sortie de crise. Autrement dit, faute de suivi politique, les frappes américaines d’Al-Chaayrate n’avaient permis ni un effet dissuasif durable concernant l’emploi de l’arme chimique ni un recadrage des efforts pour mettre un terme au conflit.

Il serait opportun que cette fois, l’action qui va vraisemblablement être déclenchée, s’inscrive dans une stratégie politique (qui doit d’ailleurs à son tour influencer le choix des options militaires). Cette "leçon d’avril 2017" revêt un caractère d’autant plus pertinent que le contexte régional et Est-Ouest a beaucoup évolué depuis un an.

"Le contexte implique à la fois de ne pas pousser à une escalade militaire avec la Russie mais aussi d’avoir une réaction suffisamment forte pour ne pas paraître céder à l’intimidation"

Beaucoup d’observateurs relèvent que sur le terrain même le rapport de forces s’est modifié en faveur du régime et de ses parrains. Les Russes ont durci les moyens de défense anti-aérienne qu’ils ont livrés au régime. L’aviation israélienne, habituée à des frappes routinières en Syrie, a pu s’en rendre compte à ses dépens, lorsqu’elle a perdu un avion le 10 février dernier. Ce lundi 9 avril, une nouvelle attaque israélienne s’est caractérisée par un taux d’attrition élevé des missiles tirés par Tsahal. Par ailleurs, des missiles S-400 ont été installés. Moscou tient des propos plus ou moins menaçants sur de possibles rétorsions suite à une riposte occidentale.

Sur un plan plus général, une série d’actions russes - vétos de la Russie conduisant au  démantèlement du mécanisme onusien de surveillance des armes chimiques syriennes, vote d’une résolution du CSNU prévoyant une trêve humanitaire en Syrie et violée dès le lendemain par Moscou, veto russe sur une résolution concernant le transfert de missiles iraniens au Yémen, et last but not least l’affaire Skripal - a été perçue comme autant de provocations par les Etats-Unis et leurs alliés. S’en sont suivies les expulsions massives d’espions russes et de nouvelles sanctions américaines très ciblées sur l’entourage de M. Poutine.

Bref, le contexte implique à la fois de ne pas pousser à une escalade militaire avec la Russie mais aussi d’avoir une réaction suffisamment forte pour ne pas paraître céder à l’intimidation

Tout ceci étant dit, quelles pourraient être les grandes lignes d’une initiative politique accompagnant la réponse militaire occidentale ? On suggérera quelques pistes :

  • un "code de bonne conduite" pourrait être proposé à la discussion avec les Russes et éventuellement d’autres : pas de renversement par la force du pouvoir de M. al-Assad, mais une politique de protection des populations civiles se traduisant par des actions militaires à chaque fois que cela sera nécessaire. Une telle approche serait d'autant plus crédible que le système de défense anti-aérienne syrien aurait été sérieusement dégradé à l'occasion des prochaines frappes ; 
  • une offre de concertation avec la Russie et (par des biais indirects) les acteurs régionaux les plus impliqués (Israël, Iran, Turquie) devrait être articulée avec pour objectif immédiat une meilleure "déconfliction", c’est à dire des contacts et des mesures pour contenir les risques d'escalade grandissants ; dans un second temps, cette concertation devrait conduire à un système de prise en compte des intérêts stratégiques des différents acteurs concernés ;
  • s’agissant du règlement inter-syrien proprement dit, il pourrait être envisagé de reprendre l’idée d’un dialogue centré sur la société civile, utilisée (mais mal exploitée) par les Russes à Sotchi et de demander aux Nations-Unies de prendre le relais pour la mettre en oeuvre.

Une démarche de ce type n’est-elle pas par définition vouée à l’échec ? Elle ne donnera pas de résultats rapides même s’il faut se souvenir que la position russe en Syrie s’est fragilisée politiquement en même temps qu’elle se renforçait militairement. M. Poutine finira peut-être par conclure que le moment est venu pour lui d’explorer des solutions politiques véritables. Autre objection : est-il encore temps de se préoccuper d’un illusoire règlement politique syrien et ne convient-il pas de laisser ce pays à son destin une fois Daesh complètement liquidé ? Ce serait cohérent avec la volonté affichée encore il y peu par M. Trump de désengager le plus tôt l’Amérique de ce malheureux pays. Toutefois, ce qui vient de se passer à Douma montre que les Américains et leurs alliés risquent d’avoir constamment à “revenir” dans le terrible dossier syrien, dans des conditions à chaque fois plus difficiles, si un règlement de paix n’est pas trouvé au moins avec les principaux protagonistes du conflit.

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